Connu comme le libérateur de la Grand’Anse, le général Férou est un natif des Côteaux qui n’a pas eu accès à une instruction de qualité comme la plupart des signataires de couleur de l’Acte. Alin Hall affirme que ce charpentier de métier pouvait à peine signer son nom. Il a seulement 14 ans quand il quitte le Cap-Français, le 14 août 1790, avec un contingent de chasseurs-volontaires à destination de Savannah.
Le texte qui suit est un extrait du livre que notre collaborateur Eddy Cavé vient de publier au Canada sous le titre Haïti : Extermination des Pères fondateurs et pratiques d’exclusion. Disponible aux adresses www.amazon.com et www.eddycave.ca.
Connu comme le libérateur de la Grand’Anse, le général Férou est un natif des Côteaux qui n’a pas eu accès à une instruction de qualité comme la plupart des signataires de couleur de l’Acte. Alin Hall affirme que ce charpentier de métier pouvait à peine signer son nom. Il a seulement 14 ans quand il quitte le Cap-Français, le 14 août 1790, avec un contingent de chasseurs-volontaires à destination de Savannah.
L’objectif est d’aller prêter main-forte aux troupes de Lafayette et de combattre l’Armée britannique sous les ordres du Comte d’Estaing. Il sera sur la liste des blessés retournés à Saint-Domingue avant la fin de l’année. Membre du 3e Régiment de l’Égalité du Sud, on le retrouvera comme capitaine dans l’Armée de Rigaud en 1799 pendant la guerre contre les Anglais.
Lorsque Férou apprend, par un ami français, que Napoléon a donné l’ordre de massacrer les officiers noirs et mulâtres, il passe à l’insurrection et rejoint les trois anciens officiers de Rigaud qui ont gagné les montages, Gilles Bénèche, Nicolas Régnier et Goman.
Curieusement, les généraux mulâtres du Sud ont entretenu des liens plus étroits avec les marrons et les chefs de bandes africains que leurs homologues du Nord. Goman notamment était très proche de Rigaud qu’il appelait d’ailleurs Parenn, comme nous l’avons dit précédemment. Marcelin Jocelyn a fourni un grand nombre de témoignages sur ce sujet dans sa brochure, déjà citée, sur la participation du Sud à la Guerre de l’Indépendance.
Après plusieurs victoires sur les Français, Férou est proclamé chef des insurgés du Sud. Au rendez-vous historique du Camp-Gérard, il se range, en même temps que Geffrard, sous l’autorité de Dessalines qu’ils reconnaissent comme général en chef de l’Armée indigène. Le 6 juillet 1803, Dessalines le nomme général de brigade après la rencontre du Camp-Gérard et commandant de l’arrondissement de Jérémie. Le même mois, Geffrard l’envoie à la conquête de son territoire et il part à la tête de ses troupes. Il s’empare des Côteaux, de Tiburon, des Irois. Après une pause à l’Anse d’Hainault, il reprend la route pour sa destination finale.
Assisté du colonel noir Bazile, il remporte victoires sur victoires et assiège Jérémie. Craignant de voir la ville livrée au pillage, le général français Fressinet capitule au bout de quelques jours et embarque ses troupes. C’est donc à Férou que reviendra l’honneur d’avoir chassé les Français de la région et hissé le drapeau bleu et rouge dans le port de Jérémie dès le 4 août 1803. Un mois avant la chute de Port-Républicain, près de trois mois avant Vertières. Il construira ensuite le Fort Marfranc où il a été inhumé.
Dans un commentaire sur l’exécution du colonel Jean-Baptiste Rousselot, dit Dommage, pendu par les Français sur la place du Marché du Cap le 3 novembre 1802, Marcel et Claude B. Auguste écrivent dans L’expédition Leclerc 1801-1803, déjà cité :
Partisan farouche de Toussaint Louverture, [Dommage] était devenu commandant de Jérémie et de la 4e demi-brigade de cette ville après la conquête du Sud […] Il organisait le front de la résistance dans la Grand’Anse […] quand il fut arrêté avec Jean Panier [et pendu]. Mais son œuvre sera parachevée par Férou dont la contribution à la guerre de l’indépendance sera inestimable [p. 227].
Aujourd’hui, Laurent Férou est totalement inconnu dans la région qu’il a libérée en 1803, et son tombeau au Fort Marfranc ne porte même pas une indication de son nom. J’ai lancé en décembre 2020 un appel à la générosité des Grand’Anselais pour lui donner une sépulture décente, et les premières réactions sont très encourageantes. Immédiatement, l’ingénieur Daniel Civil a préparé pour le comité embryonnaire mis en place à l’initiative de la dynamique militante de l’action communautaire Gabrielle Paul la toute première esquisse suivante du petit monument envisagé.
Moins fortuné que les autres généraux de son époque, Férou n’a pas laissé comme eux de portraits ni de croquis réalisés par des artistes de métier. Moins choyé par la postérité et par les équipes dirigeantes du pays, il n’a pas eu droit non plus à une effigie sur une pièce de monnaie, un timbre-poste ou un billet de banque. Ainsi, personne n’est en mesure aujoud’hui d’associer son nom à un visage quelconque.
Le même problème s’est posé à Jacmel quand la ville a voulu ériger un monument à la mémoire du général Magloire Ambroise. Comme il y avait, selon de nombreux témoignages concordants, une grande ressemblance entre lui et un de ses descendants, on s’inspira du visage et de la corpulence de ce dernier pour réaliser le buste du héros.
Au sujet de Férou, les rares pages consacrées à son parcours proviennent de La péninsule républicaine, écrit par le chercheur Alin Hall, originaire des Cayes et qui réside en Floride. L’auteur y rappelle qu’il était partisan de la déportation des Français et opposé aux massacres. Il se voyait comme un soldat, pas comme un boucher.
Férou est souvent présenté comme apparenté à Malet, mais il est établi aujourd’hui qu’il s’agit d’une erreur.
Hall termine sa courte biographie de Férou en écrivant :
Épuisé, ruiné par la maladie, il s’était déjà démis de son poste de commandant quand il poussa la ville de Jérémie à se rebeller contre Dessalines en 1806. Il est mort de mort naturelle le 16 janvier 1807 à l’âge de 31 ans [Hall, p. 183].
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Dans un article préconisant la mise en valeur de nos lieux de mémoire à des fins de développement régional, j’écrivais en 2019 au sujet du général Férou :
« L’état d’abandon dans lequel se trouve actuellement le tombeau de ce père fondateur est sinon une honte, du moins un motif d’embarras pour les fervents du culte des aïeux. On remarquera que les canons, bien entretenus, ont défié l’épreuve du temps, tandis que la sépulture de ce Père fondateur [Laurent Férou] a été livrée à la fureur des intempéries et laissée à la bonne volonté de quelques âmes charitables.
En dressant un petit monument, si modeste soit-il, à la mémoire de ce natif des Côteaux qui a fait de la Grand’Anse sa terre d’adoption, nous témoignerons de notre reconnaissance envers un des citoyens de grande valeur qui se sont sacrifiés pour nous léguer une patrie. En même temps, nous susciterons un intérêt pour Marfranc, qui a beaucoup à offrir au tourisme local.
Après avoir figuré sur la carte des fortifications, Marfranc pourra ainsi devenir à la fois un lieu de mémoire et une escale intéressante des circuits du tourisme local.