Editorial
Publication du 30 Juin 2024
29 June 2024
Plaidoirie pour le Grand Sud Haiti !
Les bouleversements qui ont secoué Haïti ces dernières années ont mis à nue la vulnérabilité de la Péninsule du Sud. Tel un goulot, les évènements de Martissant ont fini par étrangler une région meurtrie par les catastrophes naturelles. La république de Port-au-Prince, jonchée pendant longtemps dans son isolement doré, est aujourd'hui atterrée dans un climat de violence. Récemment, les autorités centrales ont osé rappeler qu'Haïti n'est pas Port-au-Prince. Il s'agit bien sûr d'un argument vague pour essayer de sauver les apparences dans une situation catastrophique. Dans la pratique, le cœur économique et politique du pays bat dans la capitale et la capitale seulement. Tel un baobab solitaire, Port-au-Prince est tombé non sans affecter le reste du pays qui, malgré les déclarations interminables, n’a jamais gouté aux fruits de la décentralisation. Quand la capitale respire mal, c’est tout le pays qui meurt à petit feu.
Et pourtant, le reste du pays a tenté d’exister. Dans les villes de provinces, on a tenté de vivre comme ci Haïti n’amorçait pas une descente définitive aux enfers. L’écolier qui emprunte le chemin de l’école et le fêtard qui rentre un peu trop tard regardent vers l’avenir avec la réalisation que même l’acte le plus banal est devenu un privilège dans ce pays meurtri par ses propres fils. Et puis, dans les quotidiens qui se suivent et se ressemblent, Port-au-Prince est loin, très loin. En dehors de la capitale, les biens et les services se sont fait plus rares, plus chers. Si on vit, c’est avec le poids d’une inflation galopante qui valse au rythme des faiseurs de troubles. Même loin, Port-au-Prince a toujours son mot à dire.
Peu de villes se sont illustrées comme le Cap-Haitien depuis le début de ce calvaire. Avec son aéroport international, le chef-lieu du département du Nord s’est offert une ouverture sur le monde. Une illustration incontestable que le pays n’est pas obligé de vivre à travers Port-au-Prince ; les provinces peuvent exister sans s’exposer aux tracas des maitres de la capitale. C’est au Cap qu’on se rend quand il faut respirer et c’est au Cap qu’on danse jusqu`à l’aube. Et pourtant, cette ville espoir a vu très peu d’investissement durant cette période, comme ci Port-au-Prince voulait résister à cette idée que c’est au Cap que pourrait vraiment commencer cette décentralisation tant espérée. Un éditorialiste se demandait il y a encore un mois « que fait encore le ministère du tourisme à Port-au-Prince si tous les touristes sont au cap ? ».
Le Grand Sud aurait aimé faire écho à ce dynamisme retrouvé au Nord. Mais peu de départements ont autant souffert de l’encerclement de la capitale. Ici, il n’y a pas de vols internationaux, ni de tourisme ouvert sur le monde. Si le département a su accueillir les rescapés du bourbier Port-au-Princien, les ressources n’ont pas suivi. Au contraire, c’est dans une lente asphyxie que se mure le département. Si la ville des Cayes jalouse le Cap, c’est surtout parce qu’elle regrette que l’aéroport et le port tant espérés n’ont jamais vu le jour. Ici, on vit avec le sentiment que cet étranglement est prémédité. Avec l’arrivée du nouveau gouvernement et au vu des nouvelles réalités, il est pertinent d’attirer l’attention des autorités sur la nécessité de désenclaver la région. C’est dans cet état d’esprit que Xaragua lance le plaidoyer pour le Grand Sud. Ici aussi, on a envie de bien vivre.
Alain Ménélas / Xaragua Magazine (Juin 2024)
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