Éditorial
Publication du 15 Septembre 2020
14 septembre 2020
Jacmel, au fil des ans!
Jacmel vient de fêter le 28 juillet dernier ses 322 ans d’existence dans une ambiance de confinement, de black-out, de misère extrême à hurler de frustrations, de conflits terriens provoqués par les autorités politiciennes en place qui ne pensent qu’à diviser pour régner. Cette fière cité d’Alcius Charmant qui dota la ville de son premier système électrique qui fonctionnait au charbon naturel en 1895 est considérée comme la première ville électrifiée dans les caraïbes. Aujourd’hui, tout citoyen qui se respecte se tourne vers le système électrique solaire vu que l’Electricité d’Etat d’Haïti (EDH) n’est pas à la hauteur des attentes de la population qui croupit dans le noir, quand vient le soir. Cette ville qui avait une bourgeoisie intellectuelle et économique la dota de son lycée communal en 1860, l’époque d’or de l’économie jacmelienne. Ce lycée eut des Français célèbres qui y enseignèrent : Le R.P Lacordaire, le Duc de Choiseul, Debray Aine, l’ami d’enfance de Victor Hugo qui fut le directeur dudit Lycée ; sans compter les grands précepteurs français des grandes familles qui arrivaient tout frais émoulus de la Sorbonne, par laquelle jurait toute une génération d’hommes d’autrefois.
Avant 1860, tous les parents aisés de Jacmel envoyaient leurs fils au Lycée Louis Le Grand à Paris, et toutes les filles au Couvent des Oiseaux. Ces jeunes qui avaient vu du pays, qui avaient roulé leur bosse et carrosses, rapportaient avec eux toute la culture européenne et ont créé des institutions qui nous servent encore : le Lycée Pinchinat ; l’Alliance Française ; le système d’eau potable des Orangers et de Meyer ; les Ecoles Congréganistes des Sœurs de St Joseph de Cluny et des Frères de l’Instruction Chretienne ; la rue du Commerce, …. pour ne citer que celles-là.
Cette phalange d’hommes et de femmes aux rêves colorés et ailés n’avaient en vue qu’une seule vision : conjuguer au présent le verbe SERVIR ! Servir leur communauté dans une servitude volontaire, telle que prônée par Etienne de la Boétie. Voilà pourquoi ils s’imposaient au gouvernement central, à travers le verbe de leurs représentants à la chambre qui s’assuraient que l’autonomie communale de Jacmel serait respectée et incontournable dans son développement. Les noms de ces artisans du progrès émergent avec beaucoup d’émotions dans nos cœurs. Qu’ils furent Ministres Plénipotentiaires ou Préfets, ou Maires, ou simples citoyens jacmeliens, ils avaient ce don de convaincre : Alcius Charmant, Alcibiade Pommayrac, Desilus Lamour, Merisier Jeannis, Michel Oreste, Ultimo Lafontant, Robert Lafontant, Volny Levy, Célie Lamour, Madeleine Perez, Charles Moravia, Hannibal Price III, Seymour Pradel... inspirèrent des générations de jacmeliens authentiques qui sont devenus de grands tribuns de la plume, du journalisme-sacerdoce et de la littérature coup-de-poing au service de l’homme Haïtien . Les Louis Pélissier Baptiste, Maurice Alcibiade Lubin, Professeur Jean Claude, René Depestre, Jean Metellus, Maurice Cadet, Maurice Guilloteau, Abel Gousse, Exina Gilles, Bonnard Posy, Michaelle Craan, Felix Morisseau-Leroy, Michelet Divers…. ont été à bonne école : celle de l’histoire de Jacmel qui nous soutient dans nos moments de difficultés et, nous voulons les donner aujourd’hui en exemple à toute une jeunesse avide de savoir, de savoir-faire, de savoir-être et de savoir-vivre-ensemble. Une jeunesse qui a besoin de se ressourcer aux mamelles de ce que Jacmel fut, de ce qu’elle devrait être.
Malgré tous les progrès accomplis par nos ancêtres, nous avons failli aujourd’hui au rêve de grandeur et de prospérité pour Jacmel vu que nous vivons dans une ville sans hygiène, sans élite qui donne le ton vu que c’est le règne de la médiocrité et du tape-à- l’œil.
« Degaje pa peche ! Byen Jwe pouw fè lajanw ! kit se nan politik, kit se nan dwog, kit se nan dyab … sak pi enpotan, byen jwe pouw gen kob pou tout moun respektew !’
Cette morale du jour n’est pourtant pas celle que prêchait les générations d’autrefois. Il y avait une façon d’être jacmelien avant d’être haïtien. Nous avions perdu les notions de valeur humaine, de respect de l’autre, des droits et des devoirs de chacun envers son patelin, envers la république. Partout dans le monde, le droit s’écrit D.R.O.I.T chez nous, il s’écrit D.O.I.G.T afin de le triturer, de l’enfoncer partout quand on veut, comme on veut avec cette arrogance primaire, veule et deguelasse. Un toutourienisme de mauvais aloi !
Certains citoyens de Jacmel sont partis pour ne plus revenir et ceux qui ont encore un peu de décence y vivent sans pouvoir s’identifier aux gens de leurs temps car pour avoir connu le Jacmel des années 1980 il est vraiment malaisé de se sentir chez soi en 2020.
Quel dommage !
Ce premier numéro de Xaragua Sud-est n’a aucune prétention de faire l’éloge du passé, il veut seulement faire une analyse du temps présent pour inviter les jacmeliens de partout en diaspora à se souvenir de Jacmel et à s’allier aux gens de bien qui y vivent encore pour que cette ville renaisse de ses cendres. Ce sont des vœux pieux d’un jacmelien qui se sent mourir à petit feu dans une ville où il n’y a plus de justice, plus de sécurité, plus d’esprit de service, plus d’esprit jacmelien. Nous souhaitons un heureux destin à ce projet Xaragua Sud-est pour que Jacmel soit mieux pensé aujourd’hui et demain. Que les prochaines joutes électorales donnent raison aux morts illustres de notre belle ville qui, en devenant sénateurs, députés, maires, délégués …. et occupant toutes autres fonctions de l’état n’avaient qu’un seul rêve : élever Jacmel à la dimension d’une ville où il fait bon vivre. Elever le Jacmelien a sa dignité humaine.
Jacmel, sursum Corda !
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