Éditorial
Publication du 7 Juillet 2021
05 juillet 2021
La Grand’Anse en éveil
Quel meilleur thème l’équipe de rédaction de Xaragua Magazine Grand’Anse aurait pu choisir pour accompagner sur les fonts baptismaux ce nouveau-né de la production littéraire de la Grand’Anse! En particulier à un moment où le moral au pays est à un creux jamais connu jusqu’ici et où la population est complètement désemparée. Un moment où il faut à tout prix trouver des formules novatrices, des slogans mobilisateurs et mettre en œuvre des projets à la fois réalistes, prometteurs et capables d’aider à relancer la croissance économique de la région. Tout en redonnant l’espoir aux générations montantes.
Pour susciter l’éveil annoncé ou accélérer le processus en cours, il faut absolument commencer par conditionner les esprits, sensibiliser les futurs agents du changement aux besoins et aux impératifs de l’heure. Ensuite, il faudra élaborer et promouvoir une vision d’un développement durable respectueux de l’individu et de l’environnement. En plus d’être adapté aux attentes d’une population exténuée, impatiente à bon droit et avide de résultats rapides. Il faudra en outre que toutes les couches de la population participent en bloc à cette œuvre grandiose, en particulier les jeunes et les femmes trop souvent écartées de la prise de décision.
Dans le proche avenir, nos dirigeants devront absolument mettre à niveau nos infrastructures vétustes menacées de disparition par des décennies de négligence et de laisser-aller. Pensons seulement au magnifique pont suspendu sur la Grand’Anse qui risque de s’effondrer à n’importe quel moment si rien n’est fait pour le consolider. Pensons aussi à l’Hôpital Saint-Antoine de Jérémie qui, dans deux ans en 2023, fêtera son premier centenaire dans le dénuement total. L’histoire de l’École Frère Paulin de Jérémie, qui a disparu subitement après avoir célébré en grande pompe son centenaire en 1977, est là pour nous rappeler que longévité et pérennité ne sont pas synonymes sur notre coin de terre.
Habitués aux caprices de la Nature et aux effets dévastateurs des ouragans, des débordements violents de leurs cours d’eau et des sécheresses périodiques, les Grand’Anselais savent toutes et tous qu’après la pluie, c’est le beau temps. Ils savent aussi que les fruits passent toujours les promesses des fleurs quand des mains expertes et bien intentionnées interviennent pour les assister… D’où l’optimisme sous-jacent au thème de cette première livraison du Magazine auquel je souscris avec, toutefois, un enthousiasme modéré.
La Grand’Anse en éveil! Ce n’est pas seulement celle des festivals annuels de poésie dont le professeur Guy-Marie Louis nous a donné l’habitude, ni celle que j’ai décrite dans De mémoire de Jérémien. Ni celle de Claude C. Pierre, de Jean-Claude Fignolé ou de Jean-Robert Léonidas. En lisant ces quatre mots, je vois d’ici les hordes d’enfants avides de savoir prendre très tôt le chemin de l’école, souriants et chantant les hymnes à la Nation. Je vois aussi le va-et-vient incessant des brouettes chargées de produits du terroir poussés par de rudes travailleurs luttant courageusement pour leur survie.
Je vois aussi des tas de taxis moto filant à toute allure, ainsi qu’une multitude de femmes et d’hommes d’âge mûr se rendant heureux et confiants à leurs lieux de travail, convaincus qu’ils contribuent à une œuvre nationale de grande portée.
Le port de Jérémie ayant été délaissé par les bateaux à moteur, La Grand’Anse en éveil devra réanimer le cabotage, mis en léthargie par le bétonnage de la route Port-au-Prince-Cayes-Jérémie, plus coûteuse, dommageable à l’environnement et au bout du compte préjudiciable à l’économie de la région. Par un de ces effets pervers du progrès, la route amène maintenant chaque jour un cortège de camions jusque dans les hauteurs de Léon où ils vont s’approvisionner en charbon de bois. Résultat : nos mornes se dénudent à vue d’œil, et la production de denrées alimentaires est en chute libre. Il faudra trouver un moyen de relacer la barre pour que notre slogan de ce mois conserve tout son sens et toute sa pertinence.
Jusqu’ici, rien n’a encore véritablement changé dans nos habitudes et notre mode de vie, et le département ne pourra pas se contenter de vivre en éveil avec une économie essentiellement basée sur l’agriculture. Face aux défis de l’avenir, la Grand’Anse doit miser sur la formation technique de ses filles et de ses fils, diversifier leur formation dans les domaines de la science et des nouvelles technologies. L’enseignement de l’informatique, par exemple, doit absolument figurer au menu de toutes les discussions relatives à l’avenir de la région.
Dans le domaine de la formation technique et scientifique, on ne saurait passer sous silence la création, en 1997, de l’Université Nouvelle Grand’Anse (UNOGA) à Décadé, à une dizaine de kilomètres de Jérémie. Axée sur l’enseignement des sciences agricoles, cette institution est un modèle d’initiative régionale réussie et doit servir de foyer régional de diffusion de connaissances techniques et scientifiques. Je tiens à profiter de cette occasion pour rendre, une fois de plus, un hommage mérité à son fondateur Maxime Roumer, qui nous a quittés au début de juin 2021.
Outre son potentiel scientifique et technique, la Grand’Anse en éveil doit absolument développer et exploiter son potentiel touristique. De Pestel aux Irois, en passant par la Grande et la Petite Cayemitte, Corail, les Roseaux, Jérémie, Bonbon, Anse-du-Clerc, Abricots, Dame-Marie, Anse d’Hainault, les Irois, la région possède un nombre et une diversité extraordinaires de plages et de sites touristiques totalement inexploitées. Il n’y a aucune raison d’attendre qu’un étranger vienne un jour les découvrir et les fasse connaître et visiter par nos compatriotes.
À cet égard, il convient de souligner que, dans la conjoncture internationale actuelle, les petits pays et les villes de province devront apprendre à compter sur le tourisme local pour assurer leur survie et leur épanouissement.
Parmi les autres ressources sur lesquelles la région pourra miser pour accélérer son éveil, il y a ses spécialités culinaires, ses nombreuses grottes, ses forts, ses sites historiques. Un exemple, le Fort Marfranc, à une quinzaine de kilomètres de Jérémie, où repose la dépouille du brigadier général Laurent Férou, signataire de l’Acte de l’Indépendance.
On se souviendra que Férou est entré dans l’histoire nationale comme le libérateur de la Grand’Anse, pour en avoir chassé les Français en août 1803, soit trois mois avant la chute de Vertières. Il a été inhumé en 1806 dans son fort qui réunit aujourd’hui toutes les conditions nécessaires pour constituer une escale d’un instructif et passionnant circuit touristique dans la nouvelle Grand’Anse.
Les fêtes patronales étant devenues l’occasion d’un périple annuel des Haïtiens vivant au pays en diaspora, la Grand’Anse en éveil devra saisir ces occasions pour promouvoir son secteur touristique, ses hôtels, ses restaurants, ses boîtes de nuit et générer des revenus. Ainsi, par exemple, la Saint-Louis à Jérémie, en août, la Saint-Joseph à Pestel, en mars, avec ses très prisées Fêtes de la Mer, la Notre Dame de la Nativité, en septembre, à Dame-Marie amènent chaque année dans ces localités un flot de visiteurs qui contribuent à les faire connaître et à promouvoir leur développement.
Pour profiter pleinement de ces occasions et de son potentiel touristique, La Grand’Anse en éveil devra toutefois investir dans la formation de guides touristiques compétents et stimuler, par la publicité, la diffusion des documentaires comme Découvrir la Grand’Anse de Cadafy Noël ou La bonne Nouvelle de Frère Joël.
Mentionnons pour finir que le plein épanouissement de La Grand’Anse en éveil ne fera ni tout ni de manière spontanée. Il faudra que chacun d’entre nous apporte sa part et contribue à la réalisation de cette œuvre commune.
Eddy Cavé
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